Vendanges 2023 – Jour J+3 – Les précipitations invisibles


Samedi matin. Oui je sais, c’est décalé dans le temps, ce blog. Fidèle à la réalité, juste décalé. Impossible à faire en temps réel, faut le we pour rattraper.

Une semaine qu’on vendange, je ressemble déjà à un clochard.

A Carrefour, dans la longue « file unique », désormais norme de l’hypermarché post-covid, à qui il ne manque plus que la musique d’André Bézu et son inoubliable « à la queue leu-leu», on me regarde étrangement, c’est évident. Je me demande qui, dans la file, connait l’origine du nom, le fait de marcher en file indienne comme le font les loups à l’état sauvage, appelés leux autrefois dans le nord de la France…

Le matin, en aidant Sylvère au soutirage du rosé, je n’avais bien sûr pas mis la tenue adéquate, multicouche de vêtements que l’on ne ressort que pour les vendanges, celle qui peut donner envie de vous glisser une pièce dans la main quand on vous croise tant on est habillé de haillons. C’est le début du travail en cave, faut que je retrouve les automatismes, on a une nouvelle pompe, bref, je m’en suis foutu partout.

En suivant, je m’étais engagé depuis longtemps sur un déjeuner. Pourquoi ai-je pris des « Cèpes du Conflent » ? Bon, je rêvais de manger des champignon depuis que j’ai vu des photos sur les réseaux. Le chef y a mis bizarrement à côté des cerises chaudes.

L’une d’entre elles m’a littéralement attaqué…

Et la moule, j’en parle de la moule ? Celle de la mariscade, pas vraiment ouverte mais pas totalement fermée, que, stupidement, je tente d’ouvrir. Celle là n’est pas morte, apparement. D’un vigoureux coup de rein, elle m’échappe et, d’un dernier sursaut, plonge dans le jus. Jus qui parfume désormais mon t-shirt.

Sale, dépenaillé, en short approximatif, dans des vêtements tachés de haut en bas (entrée, plat, vin), le cheveux mal lavé, pas rasé, le dos vouté – déjà ! – par la fatigue, je n’ai jamais été si près que d’être le candidat idéal pour « l’amour est dans le pré », émission culte où tous mes amis veulent m’inscrire certains que je vais y trouver mon âme sœur. Et partager des mariscades pour deux. Habillé comme ça ? Chez Carrefour le samedi ? J’en doute.

Poisson, vin blanc, ail, persil, huile d’olive vous parlez d’un parfum. Vous voulez que je vous dise ? Je m’en fous. Mon frigo est vide, pas le courage d’aller chez Grandfrais, il faut bien manger et puis j’ai besoin de trucs, de l’eau, de la crème solaire, de l’anti-moustique pour les vendangeurs.

Le regard des estivants fraichement débarqués m’indiffère. Poussant mon chariot, je suis perdu dans mes pensées, encore avec Jean-Yves, hier, où dès potron minet, nous inventions… les précipitations invisibles.

Le millésime va devoir é-nor-mé-ment à ces six jours d’entrées maritimes que nous venons de vivre. La vigne est un « bon malade », tout lui est bon pour trouver une raison de (re) vivre.

Au petit matin, bien que paraissant sèche, et si on les caresse avec douceur, du bout des doigts, les feuilles laissent apparaitre un peu d’humidité. Jean-Yves les appelle les précipitations invisibles.

Mais que c’est beau. Mais que c’est vrai.

Ce n’est pas chaque nuit. Il faut de l’humidité, celle qui vient de la mer, toute proche, que les nuits soient bien plus fraiches que les jours. Et plus les vignes sont au nord, plus ça dure. Ici, dans les Carignan du Bac, encore à l’ombre à 9h, la rosée est carrément visible.

Quand on regarde bien, certaines vignes – pas toutes et pas partout – ont recommencé à pousser

Bon, cela ne suffira pas pour faire grossir les baies, les jeux sont faits, désormais. La récolte sera minuscule, reste à tout faire pour qu’elle soit exceptionnelle. Mais, maintenir les feuilles en vie pour la mise en réserve, éviter le flétrissement des baies, voilà un peu de positif dans un tsunami de chaleur qui s’annonce. Une semaine au dessus de 40°, mon moral descend aussi vite que la chaleur monte. Pas de musique, pas de citation. Désolé.

En m’endormant, je repense aux précipitations invisibles. Quelle belle expression.

3 commentaires

  • Cyril
    23/08/2023 at 11:43 am

    Apres avoir touché le Graal (je ne parle pas de Jean Yves), « back to live ». On sourit de ces montagnes russes.
    Mais la Force est avec vous!

  • Malbec
    23/08/2023 at 3:47 pm

    Je suis sûre que tu réfléchis déjà à l’étiquette des « précipitations invisibles » et au vin dont ce nom sera la promesse

  • Claire Pecqueux
    23/08/2023 at 7:31 pm

    Précipitations…Les Larmes de Dieu? ou un coup de baguette d une fée passée par là…comme on dit Un Ange passe…Never mind pr le look paysan…un viticulteur est un homme de terrain qui vit de la qualité de son terroir qui donne beaucoup et qui subit les aléas du climat, climat que les grandes puissances mondiales ne savent pas améliorer…bientôt du Porto dans le Roussillon …claire

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