Vendanges 2023 – Jour J+8 – Revenir en mémoire


Qui se souvient de Pierre-Jacques Druet ? Moi, en tout cas.

Entre 1990 et 2000, c’était la référence absolue du Bourgueil. Avec les frères Foucault et Denis Duveau, les références absolues du vin de Loire. Denis Duveau a vendu les Roches Neuves, que son nouveau propriétaire a monté au premier plan de la viticulture française, toutes régions confondues. Un Foucault est mort, la famille a éclaté, le Clos Rougeard est tombé dans l’escarcelle de la famille Bouygues. Pierre-Jacques Druet a fait faillite, je crois, et a disparu des radars. Le domaine a été vendu, repris je crois par Frédéric Brochet, sans succès j’en ai peur.

Arx Tarpeia Capitoli proxima… pour toi, mon Noé, j’essaie de me la péter un peu en latin, tout en sachant que tu n’es pas dupe. Il doit bien y avoir une autre citation latine plus adaptée que la fameuse roche Tarpéienne, en fait, sur l’ombre après la lumière, l’oubli après la gloire, le fait de passer du succès à l’échec, en tout cas commercial, du sommet à… rien. Comme les acteurs, illustres dans un rôle qui les suit toute leur vie et empêche, ou ces écrivains qui ont un prix Goncourt et n’écrivent plus rien. En ce sens, le vigneron et l’artiste, si différents, encourent les même peines. Et rien ne dit qu’un jour le domaine du Clos des Fées ne sera plus qu’un souvenir.

Il faut bien peu de choses, de nos jours, même si, dans le vin, l’inertie est incroyable. Un commentaire mal exprimé, écrit sous l’emprise de la colère, une photo volée, un humour mal placé et votre réputation s’effondre. Ou le vigneron dérape, se relâche. Ou son successeur, acheteur ou enfant, ne fait plus d’efforts ou perd les clés, le style. Il faut quand même des années, voire des dizaines d’années pour que la réputation du domaine s’étiole. L’inertie dans le vin est stupéfiante. Et tout peut repartir. Quel monde étrange et fascinant.

Pour Denis Duveau, ce fut un choix. Il est je crois parfaitement heureux au Chili, ou il a planté m’a t’on dit du pinot noir après avoir été consultant pendant des années. Sa cuvée Marginale, premier vrai Cabernet-Franc de Loire élevé en bois neuf, marqua son époque et moi, par la même occasion. Les Foucault, c’est une mésentente familiale comme il y en a tant dans le monde du vin, mais le Bourg 1989 reste un des dix vins de ma vie, je l’ai souvent dit. C’est ce vin qui m’a poussé à planter un peu de Cabernet Franc sur les coteaux calcaire de la serre de Vingrau. Grand Mont et Vaumureau, de Druet, ce fut différent. Il y avait dans ces vins quelque chose d’indéfinissable, de différent. Il vous attirait. Mélusine. Femme sublime à… queue de serpent.

Je pense à Pierre Jacques – que j’ai visité deux fois dans les années 90 – chaque année à la même époque. A la fin de l’été, quand j’essaie de faire du rosé, avec une méthode qu’il m’a montrée, dans un coin de cave, en parlant de tout et de rien. Une vieille méthode de la Loire, du temps où la technologie actuelle relevait de la science-fiction. Quand le vin tournait, on appelait pas l’œnologue mais le rebouteux. Ou plus étrange encore…

Ah, là, l’étrange fumée c’est juste un peu de glace carbonique qui sublime lors du remontage d’homogénisation du pinot noir. Effet de manche sur étrange… Je ne sais pas comment on détoure la vidéo sur youtube ou worldpress, au fait. Si quelqu’un a la solution, je prends. Ah, ne pas oublier que la vidéo ne suit pas, ou peut-être seulement sur Chrome. Pour la voir, il faut aller ICI.

Je reprends. C’est plutôt simple en fait. Après le pressurage, sans nul doute à l’époque vertical et à cliquet, ou suite à une saignée, surtout sur des jus de gravière, des cabernet légers, on laissait le moût se reposer une nuit, voire un peu plus, au fond de la cave. Au cœur de la sienne, en Tuffeau, il faisait 12°. Je fais pareil, dans mon chai à barriques, à 16°. Manque sans doute un peu, mais ça fonctionne. Ca débourbe pas beaucoup mais bon, c’est artisanal. Tout dépend des jus, de l’année, du pressurage, etc.

Puis on soutire et on entonne dans des barriques en fin de vie. Le truc, c’est qu’on les remplit jusqu’à la gueule. Dès que ça fermente, ça déborde et ça mousse, toutes les impuretés sont poussées par le gaz carbonique issu de la fermentation naturelle et ça s’éclaircit peu à peu. Faut juste éponger avec de l’eau fraîche , légèrement sulfitée, une dizaine de fois par jour. Voilà.

A la fin, voilà « œil de perdrix », un rosé de Pinot noir en hommage à nos amis suisses, pays que j’aime tant, 900 bouteilles, ni plus, ni moins. On vient de mettre en bouteilles 2022, au fait. Un rosé comme on en fait plus.

Lors de ma deuxième visite, quelques années plus tard, je remarquai que Pierre-Yves me faisait toujours goûter la même barrique, à un endroit précis de sa cave souterraine au romantisme sauvage…. Il m’avoua que sur une trentaine de pièces du même vin, c’était toujours celle à cette place qui était la meilleure. Il avait essayé, plusieurs fois, de déplacer la moins bonne. Elle devenait à son tour, après quelques semaines, la meilleure du lot. Nous nous regardâmes, en silence. Je n’ai toujours pas de réponse à cette énigme. Mais je l’ai vécue, alors, je vous la raconte. A vouloir tout comprendre, on se gâche parfois la vie. Y’a t’il vraiment, dans certaines caves, une place où le vin devient meilleur ? Certaines choses empiriquement observées par les anciens seront elles un jour démontrées par la science ? Bon, je n’ai pas de cave en tufeau ni de cellier construit par des moines, donc…

Ah, one more thing. Ces trois domaines avaient un point commun : le même agent commercial sur Paris qui fit leur renommée, leur succès, leur richesse les faisant rentrer, eux et quelques autres (Dagueneau) au panthéon du vin français. Pierre-Yves comprenait le vin mais pas le commerce. Il se sépara avec fracas de son pygmalion, Philippe Noyé et déposa le bilan quelques années plus tard. Derrière bien des grands peintres, il y a un grand galeriste… Il vit parait-il en Belgique.

Telle est la voie.

P.S. : Philippe, si tu me lis, merci pour ce Bourg 89 dont, en fermant les yeux, j’ai encore le gout et les arômes en tête… Quelle époque, quand on y pense.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

« Je ne savais pas que mes chagrins passés allaient me faire sourire, mais je ne savait pas non plus que mes joies passées allaient me faire pleurer. » Anonyme

Un commentaire

  • Levavasseur
    31/08/2023 at 3:22 pm

    Au cours d’une visite chez un viticulteur du côté d’Angé (petit village près des bords de Loire? non loin d’Amboise), celui-ci nous racontait la même chose: il a installé un contenant à un endroit de sa cave, super fermentation, vin superbe… l’année suivante même contenant, même cépage même parcelle et ça patine et ça patine…il a remis son contenant à l’emplacement précédent! Et si et si… peut être une histoire de géobiologue à raconter?

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