Vendanges 2023 – Jour J+10 – Wuwei, my love

Non, je n’ai pas appris le Wuwei dans un monastère perdu de l’Himalaya, ni dans l’arrière boutique d’un étrange chinois alors que je cherchais à m’immerger dans la street food cantonaise… Pas plus que dans la yourte isolée, à 300 km d’Oulang-Bator, où j’avais choisi de suivre Saran, princesse mongole fan de macaron que m’avait présentée Pierre H… Non, je ne tends pas non plus ma main ouverte avec un caillou blanc dedans avant chaque dégustation. Mais si la légende vous plait, allez et diffusez… 😉

Non, j’ai découvert le Wuwei avec le Dr Junhong, dans… un article de psychologie magazine. Moins fun, mais tout aussi efficace. Le Wuwei, c’est la base du Taoïsme, juste un autre nom, une autre voie, une autre façon de regarder une chose présente dans beaucoup d’écoles de pensées : parfois, ne rien faire c’est mieux que faire. Je résume, hein.

En fait, en décuvant les Pinot Noir ce week-end où pointe une nouvelle canicule, je me disais que je tente d’appliquer en fait le peu que je sais du Wuwei à la vinification. Ce n’est pas pour rien que notre cuvée de Pinot Noir, à Jean-Yves et moi, reprend une sorte de Haiku, réinventé par Paul Claudel : « Ah, le monde est si beau qu’il faut poster ici quelqu’un qui, du matin au soir soit capable de ne pas remuer ».

Étre CAPABLE de NE PAS REMUER… Voilà.

Facile à dire, à conseiller, si difficile à faire…

Si vous saviez comme, dans une cave, la non-action est difficile. Parce qu’on est formé pour ça, parce qu’on a des croyances, des connaissances, des buts, des rêves, des espoirs, des conditionnements surtout. Et qu’on nous a appris à bouger tout le temps. Parce que la connaissance de la fermentation, de l’œnologie nous a donné des super pouvoirs et qu’on veut absolument les utiliser. Changer le monde. Faire mieux. Faire plus. Faire le meilleur. En ayant oublié pourquoi, parfois. En reniant, souvent, ses convictions et ses goûts.

Je pensais ce matin à ça en regardant avec Sylvère les jus de coule et les jus de presse de « 100 Phrases pour Éventail » remplissant doucement leurs petits gardes-vin, séparés, coule, P0, P2, P3, P4 etc. Ca fermente, fort d’un côté. Ca fermentouille, tout doux de l’autre, au lendemain du décuvage.

Que faire ?

Rien, tout simplement. Observer, regarder. Accepter les choses telles qu’elles sont. C’est parait-il le premier secret du Wuwei. Lâcher prise. Comprendre qu’il est possible que les choses ne vont pas se dérouler comme on le prévoyait. Mais qu’elle peuvent aussi se dérouler naturellement, que tout peut bien se passer alors que l’on en a fait le moins possible.

Là, faire, c’était juste regarder, sourire au moût en fermentation, admirer les bulles naturelles de CO2 qui font ploc ploc à la surface, signe de vie et de fin des sucres, balayer avec le dos de la main pour plus de douceur la mousse, fine ou épaisse en fonction de la vigueur des levures. Alors que les moûts ne sont séparés que depuis moins de douze heures, on voit, on sent que déjà les populations sont différentes entre les coules à 999 et les presses à 1020 (on parle de densité, de richesse en sucre encore à fermenter). Certaines, plus aptes à se développer alors que l’alcool augmente (on les appelle «finisseuses» ) ont déjà éliminé une partie des autres. Alors même qu’elles ne formaient qu’une seule population quelques heures avant, les voilà engagées dans une lutte de domination où il n’y aura, à la fin, pas de vainqueur. La nature est bien faite et il ne faut jamais oublier ce que l’homme doit à la fermentation, le pain, le vin, la bière, le fromage et tant d’autres choses..

Toucher les cuves, vérifier la température. C’est tout.

Le deuxième conseil du Dr Junhong, qui parle un langage clair pour une fois (parce qu’en chinois, c’est plus compliqué, j’ai du mal avec les idéogrammes) c’est de se préparer à accueillir l’imperfection. Alors, comment vous dire ? Dans le vin, surtout devant une telle cuvée, qui représente désormais tant pour ceux qui l’attendent – et, bien sûr , pour l’équilibre financier du domaine, surtout cette année où nous allons en direction des moins 50% en volume – accueillir l’imperfection n’est pas simple.

Mais nous l’avons fait, Jean-Yves et moi, sans sourciller une minute, sans hésiter, sans fléchir et sans nous retourner sur 2021. Et ce sera le cas chaque fois qu’il le faudra. On a pas raté le millésime, on a beaucoup appris. Bon, je l’ai raté aussi. J’ai dit que je pratiquais, pas que j’étais 5ème dan en Wuwei.

Pratiquer la pleine conscience serait le troisième et dernier secret du Wuwei, d’origine profondément taoïste et qui donc n’est pas tout à fait le non agir du zen mais le fait d’agir à bon escient, avec parcimonie, en tentant d’être en harmonie avec un ordre naturel, fluide.

Cosmique ? Si vous voulez.

Comme le dirait Masanobu Fukuoka, ne rien faire ce n’est pas rester au lit jusqu’à midi, mais c’est ne rien faire d’inutile…

Bon, soyons clair, je ne transporte pas mon zafu dans la cave pendant les vendanges, je ne médite pas devant les cuves. Je ne lévite pas, non plus, ne croyez pas tout ce qu’on vous raconte sur moi. Mais devant mon verre, devant ma cuve, devant le jus de raisin empli de vie et transformé par la fermentation, j’étais « Là », concentré dans le moment, tentant d’être le plus conscient possible de ce que je ressentais, en paix je pense, mais appréciant toutes les nuances de l’instant, tentant de saisir toutes les émotions et les pensées qui me traversaient.

Rester amical et curieux, sans toujours intervenir. Observer ce qui se passe. Aider, conduire plutôt que forcer. Plus facile à dire qu’à faire.

Telle est la voie.

Ah, merci à mes clients de m’autoriser un tel détachement en savourant un verre de Clos des Fées. Nous sommes peu à pouvoir nous le permettre sur le plan économique. Restons lucides.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours… Ne cherchez ni messages, ni raisons à ces choix musicaux. Ils arrivent souvent par hasard dans ma vie.

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La citation du jour, mais pas tous les jours…

« Lorsque l’esprit connaît la tranquillité, il maîtrise l’Univers tout entier. » Tchouang-tseu