Vendanges 2023 – Jour J+12 & 13 – Explorer les terres lointaines


Bon, ne nous leurrons pas, on est dans le brouillard. On en mène pas large. On est dans l’USS Enterprise CCC-1701, on est dans StarTrek, dans l’infini et au delà, et après avoir plié le tissu spatial à l’aide d’un sub-espace artificiel, l’équipage vient de se téléporter sur une planète étrange. Bib. Bib. Bib fait l’analyseur ringard de Spock. « L’air est respirable, captain !»

Mais tout le reste est différent. Surtout les raisins, bien sûr.

On attaque la Chique. Une cause. Un endroit unique, une oliveraie qu’on a essayé de sauver, en 2007. Une fidélité étrange pour le souvenir du jeune amateur de vin désargenté que j’ai longtemps été. J’aime faire des « petits vins », des vins bon marché (et surtout bons tout court) de ceux qui transforment, peu à peu, le buveur vers le passionné.

Rapport qualité/prix indiscutable, tout mon cœur et mes tripes dedans, tout ça grâce aux moyens que me donne le Clos des Fées, bien sûr. Pluie de médailles, bientôt trente en quinze ans. Toujours boudé et moqué par la critique, dès que les journalistes voient mon nom dessus. Je sais, on me l’a suffisamment reproché, je travaille avec la «Grande Distribution». Le mal. Sauf bien sûr pour le numéro spécial ou le supplément foire au vins financé par elle. Les opinions à géométrie variable. Si français. Permettez-moi de n’avoir pas une opinion aussi tranchée, à mon âge, où je suis moins certain de savoir où commence le bien et où finit le mal.

Pas de pluie depuis un an ou quelques millimètres. Sans doute moins de 200 ici en 12 mois. Impossible d’arroser, le forage qui sert aux oliviers est à sec ou presque. Je ne suis pas un écologiste fou mais utiliser de l’eau – dont on manque pour les cultures vivrières – pour faire du vin, non indispensable évidemment, me picote et me gêne, même. Les vignes n’ont pas poussé, le feuillage ne dépasse pas 30 cm, parfois 15, les bois ont du mal à aoûter, je ne sais pas comment on va tailler. Avec un ciseau à ongles ?

Je vous montre ? Allez, je vous montre. Mais je ne suis pas fier même si je n’y suis pour rien.

Presque un bonsaï, je vous avais averti. Pourtant, on voit du bleu, des raisins. Ah, bien sûr, sans feuilles, on voit mieux. On s’approche, baies minuscules taille petit pois. Il y a des grains déjà secs, peut-être par un petit coup de grêle, en juin. D’autres sont roses, loin d’être murs. Certains brûlés , sur une face ou en totalité. Certains, enfin, parfaits.

Qu’est ce que je vais faire de ça, en fait ? Je n’en ai aucune idée. Des cakes, comme on nous en distribuait à l’école, me rappelle mon copain de régiment Jean-Pierre : « tu sais bien, les cake Rena ? M’en souviens pas, moi, des cake Rena. Je cherche sur Internet. Ca m’a l’air sympa mais c’est aux cerises. Vont pas vouloir de mes raisins.

Revenons sur Epsilon 2045, aux confins de l’étrier d’Orion où l’empereur local me retient désormais prisonnier pour l’aider à faire du vin avec ces biens étranges raisins. Ce voyage va mal finir, je le crains…

Oh, ce n’est pas que c’est mauvais, détrompez-vous. C’est petit, donc, mais je crois que je l’ai dit, très mûr, pas finalement si riche en sucre que ça car la maturité est totalement bloquée faute de surface foliaire. Pas de feuilles, pas de sucre. Même si on a pris un supplément soleil cette année… Même les figues semblent venir d’un autre monde…

On débat des rendements avec Serge. Il reste 16 ha à vendanger, à la main bien sûr, sous un soleil de plomb qui revient et de la poussière en provenance directe du Sahara. Bientôt, il va falloir des distilles comme les Fremen sur Dune… Je pronostique entre 10 et 15 hl/ha. Il pense 18 à 20. J’espère qu’il a raison. Ca va être rapide, de toute façon, en deux jours, plié. Voyons le bon côté des choses, les vendanges ne vont pas nous ruiner cette année.

Reste à savoir comment sera le vin.

Option 1 : le millésime du siècle, sombre, noir, puissant, concentré, capable de résister au temps comme le fut 1893 (il y a eu de bons millésimes en 3, n’écoutez pas tout ce qu’on vous dit). Ah, tiens Roederer Cristal 1973, sans doute ma première véritable certitude de toucher au mystère, un jour au Juana, à Juan les Pins, chez Ducasse, avant son accident d’avion. Un saint-pierre aux agrumes, sublime. La douceur du mois d’août, les cigales. Pascale, mon premier amour. Bon, il est temps de retourner au vaisseau.

Option 2 : impossible à boire.

Qui vivra verra. Tra la la.. Restons légers par pitié.

Le soir, les mots de mon poteau Lao Tseu me font du bien : « Si tu es déprimé, c’est que tu vis dans le passé. Si tu es anxieux, c’est que tu vis dans le futur. Si tu es en paix, c’est que tu vis dans le présent » On a fini notre coupe de Selosse (merci cher Anselme, tu me sauves…), Lao et moi, et je me suis dit que j’avais bien de la chance de l’avoir comme ami…

A la prochaine, Lao, repasse quand tu veux. Va me falloir un grooooos supplément sagesse cette année.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours… Faut que j’arrête d’écouter du triste, même si c’est beau. Mais bon, vous l’avez compris, suis quand même un peu triste.

2 commentaires

  • Michel Smith
    07/09/2023 at 10:27 am

    Après November Ultra, il y a Deux mille vingt-trois.
    L’occasion peut être unique pour toi de nous pondre le plus grand vin de ta vie vigneronne !

  • claire
    07/09/2023 at 10:29 am

    behind each cloud there is Sunshine disent les British…Lao Tseu c ‘est mieux…c ‘est triste, on comprend, car Travailler dur toute l année dans la vigne, la cave, les relations presse, les relations export, les commandes à préparer pour les restaurants… et puis, pas assez de vin pour 2024…Ce qui peut rassurer un peu c ‘est que la qualité sera comme des decennies, au Rendez-vous des Fées et des Sorcières….ou un jour… Le Premier Jour du reste de ma vie…

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