Vendanges 2023 – Jour J+14 – Préciser les limites


Quelques potes, au téléphone, en région. Chacun ses problèmes. L’un voit se répandre le botrytis comme la vérole sur le bas clergé. L’autre fera aussi demi-récolte, si tout va bien à partir de maintenant, mais à cause du mildiou. L’un s’est fait dévaster par la grêle. L’autre va être obligé de vendanger trop tôt à cause d’un insecte de 2 mm, la mouche du cerisier, la fameuse Suzuki. Le dernier ne sait plus quoi faire avec un oidïum tardif. Finalement, le temps est beau ici, pas de maladie, pas si chaud que ça, je ne suis peut-être pas le plus mal loti. Tiens, en parlant, j’ai tenté de prendre la blue moon de mercredi qui se couchait sur le cirque. En vrai, c’était plus beau.

A Bordeaux, les « riches » qui ont eu l’argent pour traiter sont confiants. Les raisins ont l’air magnifique et voilà un grand millésime en perspective, surtout si le temps se maintient et grâce aux cabernet-sauvignon du Médoc. Du siècle ? Ca commence peut-être à faire beaucoup. Pour les autres, les «pauvres », l’immense majorité du simple AOP Bordeaux, celle qui, longtemps, a mis « Grand Vin de Bordeaux » sur ses bouteilles, les jeux sont faits depuis longtemps, ils ont baissé les bras au quatrième traitement, faute d’argent. Certains en ont fait plus de vingt. De traitements. Alors que 2022, délicieux, ne trouve pas preneur. La sélection naturelle fonctionne aussi dans le vin. Ses règles m’échappent, parfois. Bon, ceci ne nous regarde pas. Mais discussion intéressante avec quelques amis qui ont lu mon billet sur la Chique hier : « mais pourquoi donc n’achètes-tu pas un trieur densimétrique » ?

Ah, le trieur densimétrique. La technologie ultime. Une bonne idée qui se répand vite. Plongés dans une eau sucrée à la densité précise, les raisins égrappés ou en provenance de machines à vendanger ou de l’égrappoir sont séparés en trois. Les déchets (pétioles, feuilles, baies pourries, vides); les raisins pas très mûrs; les raisins parfaitement mûrs. C’est magique, vraiment. Lorsque l’on goûte les vins issus des différents tries ou celui ou rien n’est trié, c’est spectaculaire. La vidéo ICI, ou LA, parce qu’elle suivent pas sur la liste de diffusion. On goûte, on est convaincu, on achète.

Pourquoi ce non, alors que j’en ai les moyens ? Parce que c’est la machine qui fait le vin, plus l’homme. Parce que tous les vins, déjà faits dans les mêmes cuves, par les mêmes consultants, avec les mêmes objectifs plaire aux mêmes journalistes et/ou aux mêmes marchands , une fois passés par le tri densimétrique et, pourquoi pas, par un osmoseur un peu plus tard, se ressemblent étrangement.

J’avoue : la technologie dans le vin (le froid, le chaud, l’égrappage, les sauterelles, l’inox, etc.), on lui doit beaucoup dans la qualité des vins d’aujourd’hui. Les chapeaux flottants, tiens, depuis le temps que je veux en parler…

Mais on ne peut, à mon avis en tout cas, tout devoir à la technologie.

Donc, c’est là que j’ai mis la limite, ma limite, fixé la barre, celle que je refuse de sauter sans jamais critiquer ceux qui font ce choix, que je comprends. Et puis, ne jamais dire fontaine… Peut-être la Chique sera-t’elle « moins bonne », mais elle aura, comme disait Jacques Puisais, « la gueule de l’endroit où elle est née et les mains de celui qui l’a fait ». Et parce que, comme me l’a dit un jour Nicolas Joly (avec qui je suis rarement d’accord…), parce qu’un vin, avant d’être bon, doit être vrai.

En vérité, chers lecteurs, entre nous et parce que vous n’êtes finalement qu’une poignée à me lire, je pense que ce qu’il manque à Bordeaux, c’est un petit millésime. Allez, je délire, c’est la fatigue : un truc à la 1987, dont on a bu un magnum de Mouton-Rothschild aux fêtes du village, il y a deux semaines : un petit millésime, pas trop mûr, enfoncé médiatiquement par la presse, avec pas mal de rendement, des vins plus légers, plus buvables, prêts plus tôt et surtout des grosses marques décotées qu’on pourrait faire péter entre amis et se réconcilier avec elles en les remettant au cœur de nos vies familiales. Rêvons même de quelques crus déclassés en second vin, bons, fruités, légers, peu élevés en bois et abordables. Je suis fou ? Je sais. Bordeaux ne reviendra jamais en arrière, en tout cas les grands crus. Quand à faire des vins plus souples, plus légers, c’est l’organisme de contrôle interne lui même qui bloque tout changement. Nous sommes nos meilleurs ennemis. Bon, je ne suis plus journaliste. J’arrête.

Telle est la voie.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours… Pour toi, mon J.L. que j’aurais tant aimé connaitre aux platines. Et pour un peu d’énergie pour la seconde partie. Dire qu’à treize ans, je pensais que c’était de l’anglais. Sacré Adriano.

La citation du jour, mais pas tous les jours…

« Il est mieux d’échouer en faisant la bonne chose que de réussir en faisant la mauvaise. »
Guy Kawasaki, Apple Evangelist (pour toi, G. 😉

9 commentaires

  • Patrick
    08/09/2023 at 9:03 am

    Toujours aussi bon à lire pour une belle journée- Merci

  • claire
    08/09/2023 at 10:46 am

    merci pour ces pensées ,intéressantes au moment ou tant de personnes vont acheter des grands crus du médoc ou st-émilion; J aime bien la pensée du jour….le plus important c’est que le vrai Vigneron fasse son vin au plus proche de sa vérité. Les consommateurs ont tendance à penser que plus le vin est modernisé par les grands Oenologues c ‘est forcement meilleur… le vigneron connait sa terre, ses vignes, il les voit tous les jours, il sait ce qui va donner le bon nectar que les clients attendent zenement pendant de nombreuses années avant de le partager avec leurs amis, leurs vrais amis…

  • Pax
    08/09/2023 at 11:11 am

    Ou, comme disait l’autre : «  Qu’importe que je sois dé mauvaise fois puisque c’est pour la bonne cause ou encore qu’importe que se soit pour la mauvaise cause puisque je suis de bonne fois « 

  • pax
    08/09/2023 at 11:14 am

    Foi sans s sans e non plus me rappel mon instituteur…

  • Levavasseur
    08/09/2023 at 2:31 pm

    La trieuse machinbidulechouette, c’est peut-être celle qui a force comme vous me dites si bien a « standardisé » ces vins (allez je me mouille) dont beaucoup ne veulent plus…parce que ça ne raconte pas grand chose ou que ça ne plaît plus…et qui finit par des pleurs à la sub pour arracher??? Mouais…je sais « facile à dire » quand on est pas dedans depuis plus de 30 ans!!! J’ai lâché prise cette année début août parce que trop confiant le mildiou m’a eu…trop joué le garçon…mais bon, pour l’instant ce n’est pas ma source de revenus… j’espère arriver à mieux quand je vais avoir la pression pour en vivre. Bonne vinification

  • Michel Smith
    08/09/2023 at 4:09 pm

    Guy Kawasaki, Apple Evangelist, j’avoue humblement que je ne connaissais pas… Suis allé voir ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Guy_Kawasaki#Career
    Sinon, je reste persuadé que tu vas nous concocter cette année quelques vins mémorables. En fait, après la tension de ces jours-ci, tu vas peut-être t’amuser à nous vinifier quelques merveilles. Vive 2023 !

  • T-L A
    11/09/2023 at 6:41 pm

    Merci à Vous des plus profonds pour cet article équilibré et réconfortant.

  • Pascal
    13/09/2023 at 1:21 pm

    Quel plaisir de vous lire. Amoureux de votre terroir et de la vigne. Pas envie de conformisme et de produire le vin le plus naturellement possible. Et ne pas forcer des sensations qui seraient aseptisées. J’adore.
    Merci pour ces beaux billets.
    Pascal

  • Marie-Caroline Malbec
    14/09/2023 at 10:16 am

    Décidément nous sommes souvent d’accord, pour le 87, injustement descendu par la presse, alors attachée de presse, à Pontet Canet, j’avais bataillé pour expliquer aux journalistes qu’un petit millésime c’est bien aussi, pour toutes les raisons que tu as données plus haut…

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