Vendanges 2023 – Jour J+17 – Mettre du rouge


« Les vins ordinaires et de commerce du Roussillon sont bien connus, dans le monde vinicole, pour l’intensité vraiment extraordinaire de leur couleur naturelle. Dans plusieurs échantillons de divers crus, j’ai versé jusqu’à six fois leur volume d’eau claire et la coloration du mélange aurait encore pu rivaliser avec celle des vins rouges de bourgogne et du Beaujolais. Les vins fins du Roussillon sont également et à juste titre renommés pour leur corps, leur esprit, leur solidité, leur vinosité. Ils supportent admirablement les transports, les variations de température les plus extrêmes; ils apportent une bonne partie de leurs avantages aux petits vins, aux vins légers et peu spiritueux auxquels on les associe. »

Je ne sais plus où j’ai trouvé ce texte mais je sais que c’était dans un vieux livre ou annuaire qui vantait les qualités de notre région.

Ne nous leurrons pas, si le Roussillon est encore debout après toutes ces années, c’est que nous restons la « pharmacie » du négoce de vin français. Rien d’illégal à cela, ne commencez pas. Le Roussillon produit depuis toujours des « vins médecins » (tiens, ça me fait penser à une histoire, mais faudrait que je la mime…) et il faut avoir un jour vécu une séance d’assemblage pour comprendre qu’un pourcentage infime, une goute dans une verre de grenache noir à 16 ° peut redonner vigueur et style à une piquette. C’est vraiment magique, il n’y a pas d’autres mots.

On reste à Génégals, 14° ce matin, lumière de fou, on rentre tout, comme expliqué hier.

Trois hectares de Syrah, on devrait avoir… 35 hl. Grains entre le petit pois et le… le grain de poivre. Le jour se lève, le corps se met en mouvement, souvent grippé de la veille, on parle peu en attendant le soleil.

I

nutile de réfléchir, ça va être noir, riche et en plus tannique. Un grand vin ? Sans doute. Mais quand ?

Je me mets à rêver. Je suis en 1798, à Château Latour.

Millésime caniculaire partout en Europe, personne ne pensait que le millésime était grand. Pourtant, vingt ans plus tard, Lamothe, le régisseur de l’époque revenait sur l’affaire dans une lettre aux propriétaires « Les propriétaires du Médoc, nous dit-il, crurent en voyant l’année caniculaire que leurs récoltes étaient perdues alors qu’ils firent le meilleur vin qu’ils eussent fait et qu’ils ne feront peut-être pas de longtemps. L’opinion générale fut pour « l’échaudée », d’après le rapport qu’ils en firent au commerce qui ne put, d’abord se prononcer. Ce n’est qu’après qu’il purent se défendre de cette erreur à force que le vin était vigoureux;. Ce n’est qu’après un assez long travail que le vin développa ses éminentes qualités, jusque-là cachées dans une masse fulminante». Voilà, le Clos des Fées 2023 sera caché dans une masse fulminante… Je n’ai aucune idée ce que cela signifie, mais ça me semble bien.

Oui, j’ai lu entièrement les deux tomes de «la seigneurie et le vignoble de Château Latour». Faut savoir ce qu’on veut. Ca fait rêver, parfois, ça donne surtout de l’énergie quand on comprend que ces propriétés ont été loin, en trois siècles, de vivre ce qu’elles vivent aujourd’hui et que, pendant plusieurs décennies, elles furent dans la misère et renflouées par leurs actionnaires. Mais connurent aussi des âges d’or incroyables, entre l’arrivée des différentes maladies (oidïum, mildiou, phylloxéra, tordeuses)

On y apprend, entre mille autres choses, que Latour ne fait longtemps qu’un peu plus de 900 hl de vin. Et entre 1882 et 1892, les vins mildiousés du médoc furent pour la plupart d’entre eux pasteurisés. Que la pratique de « l’égalisage », soit l’assemblages de millésimes antérieurs ou postérieurs à un millésime, habituelle. Ou encore que le « plâtrage des cuves » était pratiqué dans tous les crus. Pas de technologie et pourtant, certains vins ont duré 100 ans. Ca fait réfléchir. Ca donne la pêche.

En attendant Serge montre l’exemple. Quand ils n’ont pas assez de raisin, au Clos des Fées les porteurs coupent un peu, pour ne pas rester inactifs. Vous êtes avertis, ça bosse…

Les terroirs les plus caillouteux ont souffert mais les bois ont aoûté. On va s’en occuper dès l’automne, comme des grands accidentés de la vie que ces vignes sont désormais.

La végétation n’a pas dépassé le deuxième fil. Peu de mortalité néanmoins, un pied par l’esca, qui heureusement n’aime pas la sécheresse, en photo, un autre en dépérissement de Syrah, on s’en sort bien.

Étrangement, les sols sont d’une souplesse incroyable, on s’y enfonce de 5 cm, presque poudreux. On en parle avec Serge, c’est l’absence d’eau : l’argile ne s’est pas compactée, un peu comme après un gel d’hiver, rare ici. On avait labouré tard aussi à cause d’une infestation de chénopodes blancs et de chardons. On a bien fait.

J’ai une soudaine envie d’enlever mes chaussures et d’enfoncer mes pieds dans la terre. Mais la cave m’appelle…

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

« Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge » Picasso (Merci, Jean-René…)

Et un postcast en cadeau

2 commentaires

  • claire
    14/09/2023 at 11:00 am

    supers photos et pensées chaque jour, un Régal du matin pour commencer la journée…paysages magnifiques, ca fait rêver. Je pense aux vendangeurs courageux depuis 17 jours, heureusement que le temps est moins caniculaire…Histoire de Latour doit être fascinante et en language de l époque, difficile et aride lecture tout de même… Dur labeur, petits rendements, cela laisse présager un Grand Cru … espérons qu’ il y aura des Crus dans le Roussillon comme à Cairanne, Vacqueyras et Gigondas…why not? pourquoi certaines régions devraient elles échapper aux Crus…? I ask the question…

  • MCMalbec
    20/09/2023 at 5:08 pm

    Il y a une constante dans ta production qui ne change pas, année après année, c’est ton talent pour te raconter, voilà au moins un état dont aucune météo ne peut te priver, c’est peut être grâce à ça que tu trouves l’énergie l’équilibre, l’inspiration et la confiance quand tu t’attelles à ton travail de vigneron, sûrement.
    Tu aimes le partage, et le verbe aussi, le vin et l’écriture t’offrent l’occasion de les exprimer. En communion avec les autres. Pour notre plus grand plaisir. What else ? comme dirait mon ami Dgeorge

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