Vendanges 2023 – J+24 – Se projeter


La première année d’un vigneron qui crée son domaine est un enchantement. On cultive, on traite, on vendange, on vinifie. Je me souviens, emplie d’une douce mélancolie, de l’excitation paisible de 1997/1998.

Puis arrive la deuxième. Même combat plus… mettre en bouteille, habiller, communiquer, tenter de vendre. Un bilan, de la compta, une avalanche de papiers. Le banquier. Les mails. Les réseaux. Les voyages, salons en France ou épopées lointaines. Et là tout s’enraye et on se dit que l’on a pas assez profité de la première année. Et on commence à ramer, ramer, ramer.

J’ai toujours en tête l’image de ces cités futuristes de l’an 2000, quand j’avais dix ou douze ans, celles où les avions taxis passaient dans le ciel, où l’on sautait d’un tapis roulant à un autre pour se déplacer, changeant de vitesse ou de direction. Je saute, depuis vingt-cinq ans, de « tapis roulants en tapis roulants » à des vitesses différentes : le temps long de la préparation des sols, de la plantation, de la mise à fruit, celui qui va durer cent ans; celui de l’élevage du vin, à cheval sur trois ans, celui de la dégustation, en prévision de diner, de voyages, qui me fait savourer m’interroger sur mes choix, il y a vingt ans. Différents « temps », plus ou moins rapide, qui ne croisent et s’entrecroisent sans cesse, six mois, un an, deux ans et deux mois, 22 semaine (et demi ? ;-). Pafois, je ne sais plus, sur lesquels de ces « tapis » j’avance, tentant de garder l’équilibre, jonglant de l’un à l’autre, le cerveau balayé de dizaines d’informations, parfois contradictoires. Décider, toujours décider, vite, espérant ne jamais se tromper. Vœux pieux. Voilà la vie d’un vigneron.

Je n’ai pas terminé les vendanges que déjà me voilà à préparer le millésime d’après, de planter des clôtures, d’attacher les baguettes des plantations de l’année dernière, d’aller chercher des graines pour les semis, l’engrais d’automne pour quelques parcelles accidentées climatiques, de commander les barriques, de vérifier les élevages du 2022, de livrer les 2021 à nos clients primeurs. Ca bouillonne.

Au Mas Farine, une équipe commence à faire une sorte de pré-taille sur le Vermentino pour tenter de sauver ce qui peut l’être, comme le faisaient les anciens qui valident, bien sûr, la bonne idée de Serge. J’en reparlerai peut-être. On a passé un cuivre, léger, pour maintenir la végétation en place le plus longtemps possible, ici un engrais folière, là un oligo-élément. Pendant qu’une partie de l’équipe finit d’effeuiller, Darek, Jan-Pavel et Yves arrachent une par une, à la main, luttant contre l’invasion des gigantesques amarantes à travers on a parfois du mal à voir les vignes et préparent le passage du chenillard..

Je les aide une dizaine de minutes, la terre est encore fraîche, mes mains poissent déjà de sève, comme si la plante se défendait. Comment un tel monstre a pu envahir les vignes et pousser en seulement 10 jours ? Je repense à tous ces donneurs de leçons, députés écolos dans leur posture, acteurs, chanteurs, politiques, journalistes partisans, tous qui n’ont jamais travaillé de leurs mains, jamais arraché d’herbes, à la main, sept heures durant, jamais pioché. Mais tous se fendent depuis une semaine d’un « haro » sur le glyphosate, hurlant avec les loups contre ceux même qui les nourrissent. La chronique d’Hugo Clément, le 27 sur la France Inter, était une honte pour le service public, une honte pour France-Inter, une honte pour le nom de journaliste. De la désinformation à l’état pur. La terreur révolutionnaire, voilà ce que cet homme appelle de ses vœux.

Ce que l’on peut dire et doit dire sur le glyphosate, avant toute chose, c’est que cette matière n’aurait jamais due être appliquée sur des aliments pour l’homme ou pour les animaux, par précaution. Que, justement, le maïs round-up compatible est bien interdit en France mais qu’il faudrait bien sûr interdire aussi toute céréale qui l’a utilisé autrement qu’au sol. Là, l’Europe devrait agir. Mais interdire aussi et vérifier l’importation de toute céréale en présentant des traces. Savez vous que plus de 50 % des volumes de Glyphosate utilisés en Europe le sont pour le « dessèchement » des plantes (blé, orge, etc, tomates même) pour les sécher et augmenter leur poids une fois secs ou pour aider à leur mûrissement ? Et que ça, justement, l’Europe l’interdit, ENFIN. Toujours regarder ce qui ne vas pas, jamais ce qui va mieux. Déformer la science. Épuisant. Ne rien pouvoir faire, parce que l’on sait, depuis Emile Coué et bien d’autres, que l’émotion gagne toujours sur la raison.

Sur le rang libre, le gyrobroyeur de Michal leur fait un sort; l’odeur, étrange, rappelle l’asperge très verte. Je ne sais pas si ça m’attire ou ça me révulse. Étonnant.

14 personnes, déjà, dans les vignes, autour de moi à bichonner et à intervenir pour la prochaine récolte. Combien d’agriculteurs, de vignerons ont les moyens de faire ça ? Je repense à l’excellente lettre à Pierre Niney de Jean-Paul Pelras dans l’Agri. Je suis comme lui, furieux, au fond de moi, de tant de démagogie. Qui veut passer sa vie à piocher ? Qui rend hommage et honneurs aujourd’hui à ceux à qui on doit notre table du dimanche ? Personne.

Pendant ce temps, sur les jeunes vignes replantées à 1,50 sur 1,50, à l’ancienne et certain que la taille courte et la plantation au carré est plus que jamais la voie, Tomek calme direct les diplotaxis, butte les vieilles vignes et décompacte les sols en surface pour accueillir les pluies.

Si elles viennent.

Pour l’instant, notre stratégie semble la bonne et le moral de l’équipe remonte. Tout ce travail n’aura pas été vain. Les vieux Grenache mobilisent leurs forces et nous étonnent de jour en jour. Rares sont ceux qui n’ont pas terminé de vendanger. Je doute. Mais bon, c’est pas comme si c’était nouveau.

Le soleil est là. Suivons le.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

« La marque d’une intelligence de premier ordre, c’est la capacité d’avoir deux idées opposées présentes à l’esprit, en même temps, et de ne pas cesser de fonctionner pour autant. » Francis Scott Fitzgerald, Lettre

Un commentaire

  • Claire
    03/10/2023 at 12:00 am

    Courage Courage Courage…des dizaines de choses à faire dans une même journée…le soir, penser au travail du lendemain et le week End, travailler et travailler encore comme dans la merveilleuse chanson de Bernard Lavilliers Les Mains d Or….oui il faut des Mains d Or et aussi un cerveau capable de penser au présent des vendanges, au présent des vinifications et au futur des vignes 2024…heureusement que de bons collaborateurs sont là pour assurer livraisons aux clients export et France, si non rien ne serait possible…ceux qui achètent et boivent un bon vin ne se rendent pas compte des centaines de choses à faire chaque année pour que le vin soit bon…et la plupart oublient que la matière première est la qualité et la maturité du raisin qui puisent ses arômes dans la vigne qui elle même existe grâce au terroir et au climat…il faudra un jour publier un livre sur le métier de vigneron…afin que les acheteurs professionnels Cavistes Restaurateurs Importateurs étrangers comprennent le prix des bons vins…la sueur et les maux de dos ont un prix…les anciens connaissaient aussi la douleur du labeur…les technocrates de Bruxelles et les technocrates du Ministère de l Agriculture n ont aucune idée du travail colossal qu il y a dans un verre de vin…ils boivent de grands crus dans de grands restaurants et ne payent même pas avec leur propre argent…tout comme ils ne connaissent pas la vie des gens qui doivent eux payer loyer, EDF trop cher, essence trop chère et alimentation trop chère…tout est si facile pour un ministre qui ne paye rien et qui peut investir chaque mois son salaire dans des maisons a la mer et a la montagne …Ceux qui prennent les décisions a Strasbourg, Bruxelles et Paris ne connaissent pas la vie de ceux qui travaillent plus de 10 heures par jour et qui n ont pas le temps de passer 4 heures au restaurant chaque jour…un jour viendra où j espère tout cela va changer…l espoir fait vivre c est bien connu…les patrons d usine savent bien que sans leurs ouvriers …rien ne peut être produit ni vendu…on a tous besoin les uns des autres…I Have a Dream…comme disait l autre …One Day…may bé …thé World will bé A Wonderful World…One day…

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