Vendanges 2023 – Jour J+9 – Écouter les anciens


«N’arrache pas les Maccabeu, malheureux ! », voilà ce que j’ai si souvent entendu des anciens, sur la place du village quand, à mes débuts, j’avais le temps le soir d’y aller, ou en arrêtant ma Renault 6 bleue, parfois, le long d’un chemin vigne, pour blaguer avec eux. Oh, sans doute qu’au début, ils m’ont pris pour un fou. Voire pire. Mais tout cela n’est pas bien grave.

Me revient en mémoire, lors de mon premier millésime, alors qu’un soir je nettoyais mes comportes, que l’un d’entre eux s’est arrêté pour me crier « mais comment, tu as déjà fini les vendanges ? ». Au niveau hygiène du matériel vinaire, ils vivaient dans l’ancien temps, comme on dit ici. Sur l’hygiène corporelle, je n’ai jamais posé la question.

L’ancien temps, il s’est arrête ici vers 1970, soit dix ans ou vingt ans après le reste du monde agricole, la région étant isolée. Ce monde, il a changé quand les désherbants ont eu le succès qu’on connait. Je parle des herbicides issus de la chimie de synthèse, dont certains de triste mémoire, pas du Roundup, si peu dangereux à coté de ce qu’on utilisait alors (je sais, je vais me faire défoncer, mais je m’en fou).

Pourquoi ont-ils eu tant de succès ? C’est simple : ils libéraient de tellement de peine, d’efforts, de temps qu’on ne se posait pas, à l’époque, trop de questions sur ils iraient plus tard. Il y a parait-il encore des traces de simazine ou d’atrazine, qu’on aimait beaucoup à Vingrau, alors qu’elles furent interdites en 2003. Quand tu n’as pas pioché 30 ans de ta vie ou couru derrière un cheval 8 heures par jour, tu peux donner des leçons, mais tu ne peux pas comprendre. La fin d’une vie de misère où, chaque matin, le corps n’en pouvait plus, mais il fallait bien nourrir sa famille. Alors, le désherbant, ce fut miraculeux.

Le rêve de tuer les mauvaises herbes date de l’invention de l’agriculture. Mais peu de gens savent que c’est à un Champenois que l’on doit le péché originel, si je puis dire. « C’est fortuitement que Louis Bonnet, viticulteur à Murigny près de Reims, fit la première observation qui allait initier une utilisation agricole des produits chimiques pour un contrôle sélectif des adventices dans une culture. Il en fit une communication au Comice de Reims le 12 décembre 1896 (rapporté par Bain et al., 1995). Il avait remarqué quelques années auparavant dans ses vignes que la bouillie bordelaise qui tombait sur des ravenelles ou des moutardes brûlait les feuilles et pouvait les tuer s’il y en avait assez, mais surtout qu’elle semblait sans effet sur des folles avoines. Donc, en 1896, ayant un [[[champ, pièce, parcelle|champ]] d’avoine envahi de moutardes et ravenelles déjà en fleur, il eut l’idée d’essayer une solution à 2%, puis à 4 et 6% car les ravenelles semblaient encore survivre. Satisfait de l’évolution, il traita tout le champ qui, trois jours après, se trouva complètement désherbé et sans symptômes sur l’avoine.» Le reste de l’historique ICI.

Dire que vous mettriez tous votre main sur le billot sur l’innocuité de la bouillie bordelaise, produit bio par excellence… Décidément, la communication c’est important. N’en voulez pas au bio, ni aux journalistes, personne ou presque ne le sait. C’est le progrés.

En 1973/1975, il y avait encore 70 chevaux à Vingrau, tous venaient le soir et le matin s’abreuver devant ma maison qui, comme toutes ici, avaient des moustiquaires aux fenêtres.

Evident, bien sûr, quand on sait cela et qu’on aime les chevaux, mais c’est parce que je posais la question que j’ai appris tout ça. Moi, les canassons, c’est pas mon truc alors, le crottin m’était étrangé. Le rez-de-chaussée était occupé par les chevaux, les mulets ou les ânes, le premier étage pour les habitants, le deuxième pour le foin, qu’on chargeait avec une grosse pince en métal et au treuil. Les crochets et les poulies restent, fièrement, au sommet de toutes les maison du village.

Un conduit permettait de faire tomber la paille directement vers les animaux tandis qu’un puits, parfois, permettait de les abreuver. On échangeait une heure de labour contre cinq heures de taille quand on avait pas de chevaux. Sinon, on piochait. On bossait 70 heures, physiquement, on mourait en bonne santé, souvent vieux, on chantait dans les vignes. Faut dire qu’on vivait vu avec 3 ha, qu’on était un propriétaire avec 6 ou 7, et un riche propriétaire avec 10 ou 12 (ils étaient rares). Ils se retrouvaient au café le matin après avoir donné les consignes de la journée à leurs tacherons. Au début, je me souviens qu’on me demanda d’ailleurs pourquoi j’allais à la vigne puisque j’étais « patron ». Il y avait deux cafés, deux boucheries, un maréchal ferrant, une poissonnerie et deux épiceries. La Retirada était passée par là et bien des catalans, arrivés avec un couteau et un sac de jute, tentaient de survivre à tout prix après avoir échappé à Franco. Manger, dormir au sec, reconstruire sa vie, rien de plus.

C’était il y a 50 ans. A peine 50 ans. Le Rivesaltes, le Vin doux, les mistelles destinées aux apéritifs à base de vin s’arrachaient à 1300 francs l’hecto, une 2CV4 Citroën en valait… 9 980. Un 6 CV, cent litres de plus. Les vignes s’échangeaient à prix d’or, il n’y avait rien à vendre. C’était sans doute à l’époque – je sais, c’est difficile à croire  – les plus rentables de France…

A qui devait on cette prospérité ? Au Maccabeu, principalement.

Moi, j’ai toujours aimé écouter les vieux. J’aime bien aussi qu’on m’écoute aie aie aie, maintenant que je le suis moi aussi et qu’en bon griot, je ressasse sans fin les mêmes histoires de mon « bon vieux temps » à moi. La vie est trop courte pour faire toutes les expériences soi-même, bonnes ou mauvaises, donc, il faut passer du temps à écouter ceux qui les ont faites, en tout cas les maitres, et non pas les clercs. Alors, j’en ai acheté un peu de Maccabeu. Et cette année, il me rend tout l’amour que je lui ai donné, le travail qui a permis de le sauver de la mort, parfois, ou de le remettre sur pied, prêt à encore produire 20 ans malgré qu’il ait l’âge Macron de la retraite depuis longtemps. Il a ses trimestres…

Cette vigne, j’ai commencé à tenter de la sauver en 2019 et je l’ai raconté ICI. L’autre, elle m’a été transmise par Suzanne l’année dernière et je l’avais raconté LA. Au final, si nous avons cette année un peu de Sorcières blanc, ce sera à ces Maccabeu qu’on le devra.

Finalement, raconter toutes ces histoires, les fixer sur le papier, c’est un peu maintenir en vie Michel, Charlou, Pierrot, Louis et bien d’autres, tous ces seigneurs de la vigne, un bigos ou une pioche toujours à portée de main, qui m’ont tant appris et qui me manquent. Ils vivaient de peu, n’avaient besoin de rien, vivaient fiers et surtout libres, sans avoir eu à remplir plus d’un papier ou deux pendant les deux premiers tiers de leur vie…

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

« Quand on a le bonheur d avoir ce qui suffit, il ne faut souhaiter rien de plus. » Epicure

4 commentaires

  • Claire
    01/09/2023 at 10:56 am

    Epicure avait raison…ceux qui veulent toujours plus de maisons et de voitures, sont ils plus heureux ? C est vrai qu il faut savoir écouter les anciens qui avaient reçu en héritage de leurs grands parents, le Bon Sens…comme ma grand mère j utilisé des produits peu polluants comme le vrai savon de Marseille, le vinaigre blanc et le bicarbonate de soude…moins on pollen plus nos petits enfants pourront respirer…

  • Marie-Caroline Malbec
    04/09/2023 at 11:05 am

    Le bonheur est dans la simplicité et l’autonomie… on n’a rien inventé de très essentiel finalement depuis ce temps des anciens. Hier j’ai mangé les figues de mon jardin rôties avec le miel de mes abeilles, et ça, ça n’a pas de prix.

  • pax
    08/09/2023 at 8:44 am

    Je passe souvent à Vingrau quand je vais à Padern.
    Je n’y ai jamais vue de place de village. Sur ce plan, Googlemaps ne m’a été d’aucune utilité.
    Y a queque chose qui cloche la ‘dans, j’y retourne immédiatement comme chantait Boris Vian

    • Hervé Bizeul
      08/09/2023 at 11:20 am

      Il suffit de mettre école, église ou mairie sur google. Ou marcher 100 dans le village, elle est difficile à rater. Ou venir les soirs de fête, en aout. Ou quitter des yeux son téléphone et lever le nez au vent. Bien sûr.

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